Contactez-nous par téléphone au 03.85.20.75.01
28/11/2023

Congés payés : évolution juridique majeure (partie 3)

L'actualité
Par 
ABL Formation
Congés payés : évolution majeure (partie 3)

À n'en pas douter, le 13 septembre 2023 fera date.

Après avoir traité de l'acquisition et du report des congés payés, la juridiction suprême fait évoluer les règles de prescription.

La durée de celle-ci reste inchangée, son point de départ aussi, mais sous réserve d'une exigence jurisprudentielle nouvelle.

On rappellera pour la forme que l'indemnité de congé payés à la nature de salaire et que par conséquent, elle obéit aux règles de prescription applicables aux créances salariales, à savoir :

· un délai de prescription de 3 ans depuis le 17 juin 2003 ;

· un délai de prescription  5 ans auparavant.

Ainsi, aux termes de l'article L. 3245-1 du Code du travail : "l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer".

En matière de congés payés, le jour déclencheur est le dernier de la période de prise des congés payés puisque le salarié a jusqu'à cette date pour exercer son droit au repos et est en capacité de connaître toute appréciation erronée que ferait l'employeur à ce sujet.

Il s'agit même, plus précisément, soit du dernier jour de la période légale de prise des congés payés, soit du dernier jour de la période conventionnelle s'il en a été institué une.

À compter du lendemain de la date valant expiration de la période de référence (ou plus exactement le surlendemain pour des raisons de procédure), le travailleur dispose de 3 ans pour faire valoir ses droits en justice.

En quoi donc l'arrêt précité constitue-t-il alors une évolution, et au-delà un redressement complémentaire de notre légalité ?

Pour le comprendre, il faut se référer aux évolutions du Droit européen et plus particulièrement au caractère fondamental du droit à congé issu de l'article 31.2 de la Charte sociale  : tous les textes européens doivent être lus à la lumière du caractère essentiel du repos du salarié et appliqués en conséquence.

Il résulte de cette analyse que le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a donné son plein effet à une Directive 93/104/CE relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail,  elle-même révisée et intégrée en son dernier état dans une Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003.

Compte tenu de l'applicabilité directe de l'article 31.2 de la Charte en droit interne, sont dès lors opposables à l'employeur les dispositions des directives garantissant l'effectivité du repos, particulièrement les spécifications de la Directive 2003/88/CE telles qu'interprétées par la Cour de l'Union européenne :

On rappellera que les directives précitées (article 6 de la Directive 93104/CE devenu l'article 7 de la Directive 2003/88/CE) ont posé les bases d'un congé annuel minimal effectif de 4 semaines.

La plus récente explicitation de ce droit par la CJUE résulte d'un arrêt du 22 septembre 2022  :

« Il appartient aux États membres de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, en précisant les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C 619/16, EU:C:2018:872, point 41 et jurisprudence citée).

 À cet égard, la Cour a précisé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit des modalités d’exercice du droit au congé annuel payé expressément accordé par cette directive, comprenant même la perte dudit droit à la fin d’une période de référence ou d’une période de report, à condition que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d’exercer le droit que ladite directive lui confère (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C 619/16, EU:C:2018:872, point 42 et jurisprudence citée). »

La Cour de cassation en tire les conséquences en matière de prescription.

Depuis septembre, elle ne fait courir le délai triennal exonérant l'employeur qu'autant que celui-ci a effectivement mis le salarié en mesure de bénéficier de son droit au repos annuel durant la période légale ou conventionnelle ouverte pour ce faire.

Au vu de ce qui relève bien d'une véritable évolution jurisprudentielle, les obligations de l'employeur en matière de congés payés sont considérablement alourdies. Celui-ci ne devra pas seulement informer ou rappeler à l'ordre son salarié. Il devra mettre tout en œuvre pour que son collaborateur prenne les vacances qui lui sont dues.

Cela signifie nécessairement que l'organisation du travail doit être prévue en ce sens et que l'employeur devra pouvoir établir une compatibilité en cas de litige. À défaut, il pourra encourir des actions en rappel de congés payés bien au-delà de la période initiale de 3 ans. 

Ella Ragain

Référence :

- Arrêt de la Chambre sociale du 13 septembre 2023 (pourvoi n° 22-10.529).

Plus de lecture :